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c'est du tout venant
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27 août 2008

Au pré

Au fond de la galerie commerciale, loin, très loin de l'entrée, dans un recoin, entre le local des pompiers et le couloir qui mène aux vestiaires des caissières, on n'entend plus que vaguement les appels de la caisse centrale et la musique sirupeuse diffusée par radio-pigeon « je t'endors, tu achètes », et on se croit ailleurs. Ici, il y a une échoppe sombre, étroite et pleine d'odeurs enivrantes de colle, de cuir, de métal travaillé ; neuf mètres carrés, à tout casser, la largeur du comptoir et la place du portillon, à droite la machine à dupliquer les clés, à gauche, une imposante presse, et au centre trône un petit homme.

Râblé, tout en poils, le visage blême mangé par les cheveux et la barbe, les manches retroussées de sa blouse bleue qui découvrent des bras blancs velus, des mains blanches velues et même des doigts noirs velus, il ressemble à un gnome ; un gnome triste, qui aurait perdu toute facétie et goût pour les mauvais tours.

Il vient d'ailleurs, et bien qu'habituée à comprendre le langage encore hésitant des petites gens qui débutent dans les joies de la conversation, je dois faire des efforts d'attention pour saisir ce qu'il me dit, tant son accent est prononcé, sa syntaxe approximative.

Belarmino est pourtant en France depuis longtemps. Depuis 1972, depuis son départ de l'armée, depuis qu'il a quitté le Mozambique où il a perdu son innocence et sa joie de vivre dans une guerre appelée aussi pacification. Rentré au Portugal après son temps, il n'a pas voulu rester dans ce pays qui lui avait fait vivre toutes ces souffrances.
Il est arrivé en France avec peut-être moins qu'une valise en carton mais chargé de souvenirs tenaces et d'images cruelles. Même la révolution des œillets et la démocratisation n'ont pu le réconcilier avec son pays.

Après avoir travaillé comme manœuvre sur les chantiers, il a, grâce à des économies sévères, pu s'installer dans cette boutique.
Il a perdu le teint ensoleillé des ouvriers d'extérieur à mesure que la graisse et le cirage s'incrustaient aux plis des doigts et aux bords des ongles. Ce qu'il perdait en couleur sur sa face buriné, il le gagnait en noirceur sur ses mains.

Rapide, efficace et pas cher, mon cordonnier n'a cependant pas beaucoup de clientèle. Sans doute est-ce pour cela que les réparations sont faites sans délai.
Je sais que ses collègues lui envoient des clients car il possède un outil qui fait sa fierté : une presse monumentale qui lui permet de recoller jusqu'aux chaussures de randonnées. Il me l'a expliqué fièrement en couvant des yeux le trésor de son antre.


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Commentaires
B
Martin- Lothar > véritable, véritable, c'est vite dit.<br /> Mère Castor > Trop, c'est trop, trooop, je te dis. Oui, je parle l'ado couramment.
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L
encore plus encore, ça en fait un de trop. <br /> C'est la rentrée...
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L
Comme quoi au fin fond des galeries commerciales et imbéciles on peut encore rencontrer des gens qui savent encore se servir de leurs mains. La presse, sacré outil.
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M
Joli, véritable et donc émouvant portrait en tout cas. Bises
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B
Prax > Seriez-vous maladroit?
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