Le Slow-Club
Il y avait rue de Rivoli, une cave où on prenait prétexte à écouter du jazz pour faire frotti-frotta, dans la fumée et l'obscurité.
Une enseigne lumineuse indiquait l'endroit : deux danseurs de bibop en néons bleu et rouge, très hauts sur le mur.
L'escalier descendait raide et la fumée vous prenait à la gorge à mi-hauteur. En bas, le comptoir où on s'acquittait de son droit de passage. Et on entrait : d'abord, le bar dans une première salle, l'orchestre dans la salle suivante, la plus grande, et encore d'autres plus petites, plus sombres, plus enfumées.
On y allait en bande après un ciné. On venait pour la danse, elle rapprochait les corps et éveillait les sens.
On y venait seule parfois après un rencart, pour une rencontre avec lendemain mais sans avenir.
Il y avait des habitués. On se saluait d'un sourire, d'un petit signe de tête, et on se faisait discret. Il y avait, comment s'appelait-il, il était là à chaque fois. Se laisser guider par lui était un vrai bonheur, tant de maîtrise, de douceur, un léger geste du poignet pour faire tourner, une impulsion pour éloigner et cette étreinte, le temps de trois pas. Et les autres.On se retrouvait le temps d'une danse, on se donnait des nouvelles en riant, on chahutait un peu en se moquant gentiment des tics, des manies, des espoirs et des déboires.
Il faisait chaud. On s'abreuvait aux toilettes des dames, ou bien si le cavalier insistait, on buvait une menthe à l'eau au bar en plaisantant avec le serveur. Pas d'alcool. Il s'agissait de savoir ce qu'on faisait et avec qui. Et puis l'alcool enivre et fait tanguer. Pour danser, il faut tenir sur ses deux jambes. On blâmait les néophytes, ceux qui dansaient en étoile et prenaient toute la place. Il y avait le code des initiés.
Le matin naissant, il arrivait qu'on prenne une boisson chaude dans un des bars voisins. Parfois avec le même que la fois d'avant. Et on prenait le premier train du matin pour chez soi. On retrouvait sa campagne et sa solitude.