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c'est du tout venant
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21 octobre 2008

Le quartier des prisons

Dans le quartier des trois prisons, il y avait une maison d'arrêt, on longeait ses hauts murs et on voyait devant la porte monumentale s'allonger la file des visiteurs, ses fenêtres grillagées donnaient sur les fenêtres de l'autre prison, celle qui lui faisait face, celle que j'ai bien connue, où j'ai vécu trois années de pénitence pour un crime que je n'ai pas commis.

Le lycée était aussi un pensionnat. L'accueil était austère et digne de l'ancien couvent qu'il était. Avec des dortoirs de cinquante lits divisés en box de huit, des sanitaires, enfin les lavabos, en enfilade dans le couloir, qui ne permettaient aucune intimité. A l'extrémité du dortoir, il y avait une salle avec quatre cabines fermées sur un bidet où nous pouvions nous isoler, à l'autre extrémité, quatre douches. Outre ce manque d'intimité douloureux, il y avait aussi les clefs et les appels. Appel le soir lors de la première étude, celle qui vient juste après les cours, appel au réfectoire pour le repas du soir, appel pour la deuxième étude après une récréation d'une demi-heure dans le parc, nous étions enfermées pour cette étude car nous y arrivions toutes en même temps, appel dans l'escalier qui nous menait au dortoir, appel dans le dortoir. Et les clefs, pour fermer dès qu'on quittait une pièce et ouvrir la suivante. La salle d'étude de mon année de seconde était dans les greniers au-dessus de l'ancienne chapelle, les ampoules y brûlaient constamment car les seules fenêtres étaient des vasistas en hauteur, et la lumière du jour y était rare. J'y ai appris à faire semblant, le silence régnait, nous ne bougions pas, j'y ai appris qu'on pouvait ne rien faire sans bruit et n'être pas dérangée, j'y ai appris à ne pas travailler, furieuse d'être là. J'y ai appris que la lumière du jour m'est indispensable, que je ne souffre pas la contrainte et que la peur n'est pas un moteur.

L'année de seconde, j'étais dans la classe phare du département, pensez, j'avais comme compagnon d'études la fille de l'inspecteur d'académie, le fils du censeur du lycée, les enfants de notables du chef-lieu de département, et les têtes de classes des collèges des environs qu'on avait réunis là pour créer, je suppose, une élite. J'y ai appris à mes dépens qu'on peut être riche et manquer de l'essentiel : la gentillesse, que les jolis vêtements ne sont pas gages de bonnes manières, que pour « arriver » il est facile de piétiner son voisin.

Je n'ai pas aimé mes années lycée, ce sont les plus noires de ma vie, coincée dans ce lieu où j'étouffais, dans des classes où je n'avais pas d'amis. Je n'ai eu qu'une hâte, une fois le bac passé, trouver des études où je serai libre, où je n'aurai aucun compte à rendre, où je ne serai plus enfermée.

Pour cela, j'ai rejoint la troisième prison du quartier. L'Ecole Normale d'Institutrices remplissait toutes ces conditions ; nous y étions payées pour suivre de très loin des études qui nous permettaient surtout de vieillir. Après la claustration, je découvrais les joies des sorties, le cinéma, le théâtre, les bars et l'Ecole Normale d'Instituteurs  avait beau être à l'autre bout de la ville, nous avions vite appris le chemin.


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Commentaires
B
Madame de Keravel > Bon courage pour ta fille ; je n'aurais pas aimé que mes enfants me ressemblent en cette période, ils ont l'air d'un caractère moins ingrat que moi et par là, plus heureux.<br /> Il ne faudrait pas qu'internet m'enferme comme l'internat. Que je devienne une "nolife", c'est ma fille qui m'appelle comme ça.
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M
"L'adolescence n'est pas un âge facile. Peut-être que même au paradis, j'aurai eu l'impression de vivre un enfer."<br /> <br /> Comme c'est vrai ! Je répète tout le temps à ma 2e chérie que non, sa vie c'est pas de la m** et qu'il faut qu'elle apprenne à voir ce qui est bon.<br /> <br /> Et donc maintenant tu préfères l'internet à l'internat ? (oui je sais, c'est un peu naze, mais j'avais envie de la faire ;-)
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B
Martin-Lothar > Je n'ai qu'un point de vue.<br /> Prax > Villa Misère irait très bien aussi.<br /> Mère Castor > Oui, c'est très bien.<br /> Sandrine > Je pense à toi, je pense à l'arbre, j'y pense. ;-)
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S
J'avais compris que c'était pas toi la riche et que tu ne te sentais pas à ta place. Oui, certaines préoccupations des gens friqués peuvent être surprenantes...
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L
Bref, tout ça pour dire qu'on se retrouve dans ce récit, même si on a vécu les choses différemment. Et c'est très bien.
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