Ford Capri
Il s'appelait Gut'. On l'appelait Gut'. Comment il s'appelait, je ne sais plus, et l'ai-je vraiment su ?
Il était plus âgé. Il avait une amie, jolie comme un cœur, un petit cœur exotique, fragile, brune, émouvante avec sa peau d'ivoire et ses yeux en amande. Le couple qu'il formait avec sa bonne amie, était un des piliers de l'École Normale. Il y en avait quelques-uns comme ça. On enviait leur amour, on jalousait leur fidélité.
Gut' était un joyeux luron, toujours dans le rire, un peu dans la provocation. Il avait une voix douce, et disait en murmurant des horreurs qui faisaient fuir les bien-pensants. Je n'étais pas bien-pensante et j'aimais sa compagnie.
Gut' était roux, avec une peau blanche et on voyait ses veines. Il jouait de la guitare, c'était assez commun en ces années lointaines et c'était un moyen sûr pour se constituer une cour. Je faisais partie de cette cour-là.
Gut' avait une voiture, nous n'en avions pas tous, avions-nous seulement le permis ? Une vieille Ford Capri bleu ciel avec les vitesses au plancher.
Le soir, il partait en balade avec sa chérie. Plus tard, il la raccompagnait à l'école des filles. Elle rentrait travailler. Lui, il rejoignait ses potes dans des bars. Je traînais les bars aussi. Moi aussi, je dormais à l'école des filles. Dans la nuit, je faisais le mur à l'envers. Je passais par la fenêtre d'un atelier qu'on laissait ouverte à dessein et rentrais au dortoir pour dormir jusqu'au matin. Je n'étais pas fragile, sauter, enjamber, courir, pour moi, c'était facile. Je n'étais pas farouche, non plus. Si j'avais peur de l'amour, ses jeux ne m'effrayaient guère. Un soir, après un bar, Gut' me raccompagna.
Prax me dit que la banquette arrière de la Ford Capri était étroite, elle fut bien assez vaste pour accueillir nos rires, nos caresses, nos étreintes.
Je n'étais pas compliquée, je ne demandais rien. Le lendemain, il embrassait sa douce et me saluait de la main.