Les trois grâces
Quand j'étais à l'École Normale, nous étions une promotion très nombreuse, plus de 150. Il y avait donc des styles, des genres, des façons d'être très différents. Il y avait en particulier trois jeunes filles, je suppose qu'elles étaient jeunes filles, ingrates, terriblement vieux jeu et mal dans leur peau. Avec la gentillesse qui fait honneur aux potaches et la tolérance qui caractérise les étudiants, nous les avions surnommées les trois Grâces. Rien de bien original, c'est vrai. Je crois que si j'avais à les fréquenter maintenant, je chercherais à savoir pourquoi, elles étaient ainsi. |
Les trois Grâces n'étaient pas si jolies. Elles étaient bien en chair soit, avaient chacune un type particulier et bien prononcé, mais elles n'étaient pas aussi gracieuses. Peut-être avaient-elle le regard un peu triste, mais je les soupçonne d'avoir eu la fesse plus molle, le sein tombant et le ventre lourd.
Les trois Grâces n'étaient pas coquettes et le bruit courait dans les couloirs de l'E.N. qu'elles empestaient le suint.
Les trois Grâces, bien qu'inséparables, n'étaient pas si unies. Il n'y avait pas de tendresse dans les gestes qu'elles avaient l'une pour l'autre. Elles gardaient devant l'adversité une posture rigide et compassée.
Les trois Grâces n'étaient pas joyeuses. Elles ne riaient jamais. Ou seulement pour se moquer des malheurs d'un plus malheureux qu'elles.
Les trois Grâces n'allaient jamais danser. On ne vit pas de gentils cavaliers tourner à leurs côtés.
Les trois Grâces n'inspiraient pas l'amour et les flèches qu'on leur connaissait étaient les piques cruelles de leurs paroles malfaisantes.
Franchement, nous aurions pu leur trouver un autre surnom, ou peut-être bien sûr les appeler par leur prénom.