Vous en reprendrez bien une louche
Je fais un métier de représentation.
Pour attraper et retenir
l'attention de 20 loustics, il faut savoir jouer de sa voix, de son
corps, de sa place dans l'espace. C'est important de prendre sa place
physiquement dans une classe. Il faut se montrer. Pas obligatoirement
en force mais assurément en présence.
En fin de journée quand on a bien planché sur la proportionnalité, les homophones dont la langue française est friande, les services de protection aux personnes de l'État français, bref quand on a sué sang et eau sur le programme, on se fait un petit plaisir : LECTURE. Hier, après les avoir écoutés lire le début d'un conte, je prends le relai. Je m'installe face à eux. Je lis le livre. Je module ma voix, ménage des pauses, joue des intonations. Ils sont suspendus à mes lèvres. Ils boivent mes mots. Il règne un silence attentif, quasi religieux dans la classe. C'est une histoire d'enfants, de fantôme, de maison abandonnée et d'orage. La tension est à son comble.
Je suis assise sur un tabouret un peu haut. Je domine mon sujet et la situation.
Il est, par malheur, quelque chose que je ne domine pas, ce sont les gargouillis de mon ventre affamé qui réclame son 4 heures. D'abord discrètement puis dans un bruit de tuyauterie qui précède un éclat de rire général. Oublié le tonnerre, balayé le fantôme, tout le monde rit aux bruits incongrus que mon ventre profère.
Le boulot d'instit est un métier de représentation ; c'est aussi une école de l'humilité, on est parfois rattrapé et remis à sa place par une simple fringale.