On the road again
J'ai donc un mari, deux
enfants, et j'ai aussi comble de la normalité, une profession.Je fais partie de la
grande famille des pachydermes. Encore une, direz-vous. Mais, je
n'ai jamais eu la prétention d'être exceptionnelle.Femme, instit, mariée,
2 enfants, on est des milliers.
J'exerce donc mon métier
à la campagne, mais pas trop loin de Paris. Depuis maintenant
quelques années, voire dizaines
d'années, je sévis sur le canton. Et, j'aime bouger ;
et puis, pour être restée dix ans au même endroit,
je le sais, on devient vite une institution quand on s'incruste. Et
le luxe de cette profession quand on a un peu de bouteille, c'est de
pouvoir choisir. Alors, je change, je bouge, je fais des sauts de
puce. Cette année, j'étais en poste, titulaire, dans
une vraie école, il y a cinq classes pour faire toute la
scolarité de la maternelle au primaire. Je dis ça,
parce que j'ai aussi longtemps travaillé dans des écoles
à une classe où la vie est quand même très
différente. Je ne connais pas la vie des écoles de
ville avec plein de collègues.
Cette année,
j'avais donc la charge d'apprendre à lire à dix élèves
tout en m'occupant des quinze autres en dernière année
de maternelle.Et que ceux qui disent
qu'on fait un boulot de fainéant viennent voir comment ça
se gère ! Et au bout d'un an, je ne peux plus, je suis épuisée
et je m'en vais, j'ai demandé et obtenu mon changement. Je
vais faire des remplacements et ça, ça me va.
Rester 2 mois, 3 mois,
même un peu plus s'il le faut mais pas toute l'année.
A l'année je
m'essouffle, je m'aigris, et je vis mal les échecs. Si cet
enfant ne réussit pas à lire, c'est que je n'ai pas
trouvé le bon filon pour lui apprendre. Et j'ai tendance à
penser que quelqu'un d'autre aurait certainement bien mieux réussi.
Alors, je pars, je m'en vais.
J'aime les premiers
contacts, découvrir, apporter mes richesses car j'en ai, si
si, tout n'est pas à jeter chez moi.
J'aime recommencer,
conquérir.
Je lis l'incompréhension dans les yeux des
débutants qui rêvent d'un poste fixe. Je fais hurler les
collègues plus âgés qui voient les remplaçants
comme des fumistes, des gens qui s'en fichent.
Et bien, non, c'est bien
parce que je ne m'en fiche pas et au contraire, parce que beaucoup de
choses m'affectent que je préfère être de
passage. C'est presque une mesure de sauvegarde, pour ne pas y
laisser trop de plumes et pouvoir continuer.
Je ne vis pas très bien le jugement que
mes pairs portent sur mon choix. J'aimerais pouvoir dire que
ça m'est égal.
Mais ce n'est pas vrai.