Un personnage
D'abord un personnage.
Une femme. Forcément. Les femmes, je les connais de l'intérieur. Je vis dans un univers de femmes où les hommes sont exceptionnels. Je veux dire par là qu'ils sont rares, pas qu'ils ont des qualités que nous, les femmes, n'avons pas. Les hommes, je ne suis sûre de les comprendre, ils me font souvent un peu peur. Je ne sais pas si je comprends mieux les femmes, mais une femme.
Faut-il que je la décrive ? Une petite femme brune, menue, fluette à la silhouette de petite fille en dépit de sa quarantaine bien sonnée. Une petite femme brune au teint de pruneau, féminine en diable, les yeux faits, la bouche peinte, les cheveux opulents coupés dans la masse, une petite femme annoncée par un parfum capiteux. Vous la voyez avec ses yeux verts, ses tenues bariolées et excentriques. Des fleurs, des dentelles, des tissus précieux, des brocards, des soieries, un amoncellement fantasque et baroque qui la rend unique et inoubliable.
Elle parle. Elle a une voix légèrement voilée par le tabac. Elle fume ? Oui, elle fume et ses doigts sont jaunis, juste un peu. Elle parle en fumant, sa cigarette se teinte de rouge à l'extrémité qu'elle porte à sa bouche. Elle parle, elle écoute en tirant sur sa clope. Elle l'écrase du bout de sa chaussure. Elle farfouille dans la grande besace qu'elle porte en bandoulière et dont la sangle plaque l'étole sur sa veste cintrée. Elle en sort un tube de rouge à lèvres qu'elle s'applique sans réfléchir d'un geste naturel et habituel. Elle lève légèrement la tête vers son interlocuteur quand elle parle, elle la baisse pour l'écouter. Elle fixe son regard devant elle pour concentrer son attention. Elle est attentive, elle s'anime dans la conversation. Elle articule avec soin pour être sûre de se faire comprendre. Elle se hisse sur la pointe des pieds, plaque une bise sur la joue, tourne les talons d'un pas décidé et plante là l'autre.